« Ah lala, ça faisait longtemps que j’étais pas sortie boire un verre ! C’est sympa ici, non ? »

Sympa…. Ce n’était peut-être pas le mot exact, elle le reconnaissait. C’était un bar miteux, assez peu engageant, dans un quartier sombre où elle avait atterri un peu par hasard. Mais Swan n’était pas une froussarde, loin de là, et ce n’était pas un petit bar glauque qui allait lui faire rebrousser chemin. Au contraire même, il y avait quelque chose d’enivrant, d’excitant, à se trouver dans un lieu aussi sordide. Avec la délicieuse peur qu’il peut vous arriver quelque chose d’une minute à l’autre. C’était tout Swan, ça : elle adorait tenter le diable, se mettre dans les pires situations, pour sentir l’adrénaline lui bruler les veines. Alors elle jubilait dans sa petite robe noire, assise sur un banc poussiéreux, son verre de cocktail à la main.

Son Irréel, lui, ne jubilait pas du tout. Enfin, il fallait dire que Dorian ne jubilait jamais, son visage était toujours imperturbable, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. Mais qui le connaissait bien – autrement dit, seulement Swan – aurait décelé dans son regard froid une lueur de méfiance. Il surveillait les hommes qui peuplaient le bar, qui lorgnaient de temps à autre la donzelle assise à ses côtés et qui regardaient avec la même méfiance l’homme à la beauté froide qui semblait la protéger comme un lion prêt à bondir. Avec ses beaux vêtements et ses cheveux blonds qui tombaient avec désinvolture sur son élégant visage, il dénotait complètement avec l’aspect miteux du bar et cela ne semblait pas au gout de certains types. Dorian but une gorgée de bière et dit de son habituel voix calme :

« Je n’aime pas vraiment cet endroit, Swan. »

« Oh, Dorian, ce que tu peux être rabat-joie ! On boit juste un verre de toute façon ! Il ne peut rien nous arriver ! »

Elle rit et but son verre d’une traite. Il ne leur arrivait rien. Et puis au pire, s’il devait leur arriver des noises… Cela faisait un bon moment que Swan n’avait pas dérouillé ses poings avec une bonne baston. Et elle était sur que Dorian pouvait frapper bien plus fort que tous ces types réunis.

Elle avait beau avoir regardé et tourné la carte sous tous les angles, l'avoir analysée sous toutes les coutures, l'avoir parcourue encore et encore Helen en tira la conclusion suivante: elle s'était perdue.

Elle s'était endormie quelques instants dans le tramway. Elle avait dépassé de plusieurs arrêts visiblement celui qui se trouvait à proximité du magasin de bric et de broc où elle comptait acheter ce fameux herbier dans de l'an 980.
En descendant du wagon, elle s'était retrouvée dans un quartier qui lui était complètement inconnu. Face à elle, un immense parc, emplis d'arbres aux feuilles roussies duquel dépassait une statue.
Ne connaissant pas ce lieu qui lui semblait plutôt incongru, elle avait décidé de traverser celui ci avant de rejoindre un arrêt de bus qu'il l'amènerait prêt de son magasin.

Elle avait quitté depuis une demi heure au moins l' espace vert et se trouvait à présent au milieu de hauts bâtiments vieillissants et délabrés. A sa gauche, au bout d'une impasse un panneau de métal ou étaient peints une flèche et  les mots « L Absinthe »,
Elle apercevait au loin les enseignes rouges clignotantes de ce qui semblait être un cabaret mais aucune indication d'un moyen de transport quelconque.
Ses pieds commençaient à la faire souffrir, elle n'avait pas le choix, elle allait devoir entreprendre de communiquer avec les citoyens de ce quartier. Elle suivit la fameuse flèche et pris donc la peine d'entrer dans l'immeuble miteux qui faisait office de bar.

Elle balaya la salle des yeux à la recherche du tenancier des lieux, quand soudain un couple attira son attention. Helen était physionomiste. Elle se souvenait de chaque visage qu'elle avait vu. Elle n'en oubliait aucun. Mais quant à se souvenir du nom c'était autre chose. En revanche leur numéro de cobaye au laboratoire lui revint en mémoire, le numéro RI.157 et son résultat le I.157. Elle se dirigea vers eux. La reconnaîtraient-ils?

« Bonjour! » dit elle poliment en se posant juste en face d'eux.

« Bonjour ! »

La voix féminine fit lever les yeux de Swan. C’était une jeune femme – fort jolie, soit dit en passant -aux cheveux auburn joliment coiffés qui s’adressait à elle. Un visage qui lui disait quelque chose ….

« Heu, bonjour … Nous nous sommes déjà vus, non ? »

Soudain, la mémoire lui revint. Cette femme faisait partie de l’équipe de scientifiques qui s’était occupé d’elle et Dorian, un an auparavant. Elles s’étaient peu parlé et avaient simplement échangé des notes et informations utiles pendant « l’opération » mais elle se souvenait à présent de cette jeune femme a l’air absorbée par son travail.

« Oh, si, je me souviens de vous ! Vous êtes scientifiques n’est-ce pas ? Nous nous sommes croisés lors de mon injection d’lluvis, non ? »

Elle ne se souvenait plus du tout de son nom, tout comme la majorité des noms de ce qui avaient été là lors de la naissance de Dorian. Elle jeta d’ailleurs un regard en coin à ce dernier, qui la regardait également, et interrogea du regard son Irréel. Elle n’appréciait guère les scientifiques. Ceux qui avaient là pour son « opération » l’avaient traitée comme un seul cobaye et Dorian comme un rat de laboratoire. Pas de comportement odieux avec eux, certes, mais un froid et un sérieux médical qui l’avait mise mal à l’aise et elle n’était pas tout à fait de vouloir renouer avec eux. Mais puisque cette femme était seule à ce bar …
Le regard gris de Dorian l’incitait à la méfiance mais elle osa se retourner vers la jeune scientifique.

« Vous êtes seule ce soir ? Vous pouvez vous installer avec nous, si vous le souhaiter ! »

Et puis, à la rigueur, elle n’était pas désagréable à regarder.

La jeune femme acquiesça. Swan ne s’était pas trompé, elle était bel et bien scientifique.

« En effet j'étais bien présente lors de la création de... »

Elle s’arrêta et fixa Dorian. Swan eut une moue désapprobatrice. Beaucoup de scientifiques présents lors de la naissance de son Irréel l’avait traité comme un simple produit de laboratoire et l’avaient même pas fait l’effort de retenir son prénom. Elle espérait que cette femme n’était pas de cette trempe : elle avait horreur qu’on ne traite pas son précieux Irréel avec les égards qu’il méritait. Mais après tout, la naissance de Dorian remontait à une année et cette demoiselle avait du voir bon nombre d’Irréels voir le jour. Il était sans doute naturel qu’elle l’eut oublié.

« Dorian. Il s’appelle Dorian. »

La jeune femme se tourna vers Swan et dit sur le ton de la confession :

« « En effet je me suis un peu perdue dans la ville. Je n'ai pas un très bon sens de l'orientation. Et je pense que je vais accepter votre invitation mademoiselle... euh... »

Swan haussa un sourcil et répondit d’un ton neutre :

« Blackwood. Swan Blackwood. Et venez donc vous installer avec nous puisque vous êtes perdue ! ”

La jeune femme s’installa et Swan en profita pour la scruter. Elle était très belle. Elle n’avait pas pu oublier le nom d’une si ravissante créature, non ? Elle sembla certes un peu froide mais ses cheveux roux étaient absolument superbes. Mademoiselle Témah ? Tomah ? Swan fouilla dans ses souvenirs, remonta jusqu’à la création de son Dorian bien-aimé.

« Et vous vous êtes Mademoiselle … Timah ? Si mes souvenirs sont exacts ? … »

Elle but une gorgée de cocktail et réalisa soudain que la jeune femme n’avait aucune boisson.

« Vous désirez boire quelque chose peut-être ? Dorian et moi avons chacun un verre et nous buvons ainsi devant vous sans que vous ne puissiez vous désaltérer ! »