Le quartier Est ne changerait jamais : ses rues bourdonnantes vrombissaient  sous les pas affairés des passants qui venaient et allaient ;  Ses boutiques bariolées, tantôt chic, tantôt retro, s’agitaient à chaque franchissement de leur seuil, prises d’assaut par une tourbe qui,  tambour battant ,s’activait à se procurer les objets tant désirés dans frénésie d’enthousiasme à donner le tournis ; Et comme d’habitude, les chalands sur la place du marché s’escrimaient dans un joyeux vacarme à vanter la qualité de leurs produits tandis que non loin, les plus jeunes s’engouffraient dans l’un de ces restos à la mode histoire d’éviter la bise glaciale de l’Automne, avant de s’attabler en s’esclaffant pour contenter leurs estomacs impatients à coups de graisses et autres cochonneries diverses et variées. Quartier des affaires. Quartier des plaisirs. Constamment, inlassablement à un rythme endiablé qui pouvait tant pomper que fasciner.

Pour Lia, ce fut un coup. Après des mois de calme plus ou moins teintés de stress à vivre à la campagne puis quasiment en ermite, se retrouver là, de nouveau, perdue dans ce flot familier et inconnu à la fois lui donna l’impression d’être un poisson que l’on était en train de changer de bocal en le laissant à demi s’étouffer. Tant de sons, tant d’activité, tant de gens qui s’agglutinaient en menaçant à chaque pas d’asphyxier son bébé ! Elle ne s’attendait pas à cette vague ardente. Du moins, pas tant que ca. Elle voulait juste changer d’air au départ : Rox avait son boulot, Ferhnbach ou ses sbires, même si elle ne cessait de se montrer prudente, ne donnaient guère plus de signes de vie en même temps c’est une chochotte alors ; il fallait qu’elle recommence à bouger, de temps à autres…Mais ça…Elle ne s’attendait pas à se sentir aussi noyée.

A un moment, prise de découragement,  elle songea même à rebrousser chemin pour aller au Nord. Mais comme elle était têtue, et que lorsqu’on est têtu, on s’accroche et on fait chier le monde,  elle se ravisa, et , son enfant bien calée contre elle dans son porte bébé, elle prit le taureau par les cornes et remonta la marée humaine. Bon plan au final : car progressivement, elle sentit la tension sur ses épaules retomber, son souffle s’apaiser. Elle reprenait ses marques, son rythme dans ce chaos bon enfant. Et bientôt, une sensation de bien être s’en vint l’habiter. SON quartier ! Elle retrouvait son quartier,  cet endroit où elle avait passé une bonne partie de son existence. Comme un vieil ami que l’on retrouve après des années de séparation et que l’on embrasse avec émotion.  Rien n’y avait changé, hormis une pointe de tension sous-jacente que l’on pouvait ressentir en se laissant par le flux porter et quelques bâtiments en construction qui s’élevaient. Elle était chez elle, dans son élément. Chez elle dans ces ruelles. Chez elle devant la porte de la pâtisserie dans laquelle elle pénétra, alléchée par les bonnes odeurs sucrées qui s’en dégageaient. Elle savait ce qu’elle achèterait: des bonbons fourrés au chocolat. Ah et à la fleur d'oranger aussi. Ca avait toujours été son petit plaisir.

Et tandis qu’elle attendait sagement son tour, un petit sourire s’en vint naitre sur son visage aminci. Il faisait bon, il faisait chaud. Elle était à la maison de nouveau et en profiterait au maximum.

Alors qu’elle faisait  tranquillement la queue, prenant son mal en patience en savourant la vue des douceurs qui se déployaient dans une farandole de couleurs sur les étals, une jeune femme aux longs cheveux rosés toute mimi, les yeux brillant tant d’excitation que de gêne(à croire qu’elle n’attirait que des cuties) la héla aussi doucement que possible : -Excusez-moi ? A votre avis, lequel miel serait mieux assorti à vos papilles pour un repas ? Enfin... Dans des pains et tout ce qui suit.

Et de rougir aussi sec  telle une belle tomate mure avant de murmurer, presque au supplice : -Votre enfant me semble tout particulièrement adorable, madame.

A ces mots, Lia ne put s’empêcher de sourire gentiment tout en s’appliquant à rassurer la demoiselle, laquelle paraissait croire, comme beaucoup de cuties, qu’elle allait la manger toute crue pour avoir osé lui adresser la parole. Un de ces quatre, il faudrait qu’elle pense à broder un grand ‘’INNOFENSIVE’’ sur ses tenues : des fois que ca soulagerait les petiots … Enfin ! « C’est gentil, merci, fit-elle en réponse au compliment sur sa petite endormie avant de continuer avec un poil d’amusement dans la voix  histoire de détendre son interlocutrice, mais ça, c’est parce qu’elle dort pour le moment et que la sirène d’alarme n’est pas encore enclenchée. C’est une autre histoire d’un coup ! »

Ah ca, les piaillements de Léti, pour être stridents et catégoriques quand elle s’y mettait, ils l’étaient ! Elle entreprit après quoi de jeter un coup d’œil aux deux pots qu’elle tenait dans ses bras, les examinant rapidement avant de déclarer à mi-voix : « dur dur…les deux sont exquis, elle esquissa une moue embêtée, mais bon…puisqu’il faut faire un choix…je dirais le miel des fleurs : il est très parfumé donc en tartine, c’est un régal, et de la gratifier d’un  petit sourire chaleureux pour ensuite s’enquérir, un brin curieuse, qu'est ce que vous comptez en faire ? »